Pastels.

 

La jeune galerie Phi2 a invité en 2013 le pastelliste Périgourdin Jean-Michel Linfort pour une exposition intitulée « Fragment du paysage ordinaire ». Sa peinture est déjà bien connue en Dordogne puisqu’ont déjà eu lieu deux expositions présentées aux archives départementales, accompagnées de monographies et soutenues par le conseil général. La première en 2008, était consacrée à «Sudrat, la ferme ensevelie» et la seconde, en 2012 à «l’archéologie du terroir» : deux hommages aux campagnes périgourdines et à l’identité rurale du territoire.

 

Jean-Michel Linfort, né à Périgeux en 1945, est fils d’agriculteur. Il a vécu après-guerre la profonde transformation du milieu paysan. Et ce monde, qu’il a connu enfant et qui n’existe plus, il le peint inlassablement, presque compulsivement. Il le cherche, le traque dans ce qui en subsiste encore à l’état de traces. «Ce que j’essaye de faire dans ma peinture, c’est montrer une certaine terre qui est définitivement morte. Je ne peux le faire qu’en faisant appel à la poésie des choses qui meurent.» dit-il, parce que «nous sommes désormais dans une civilisation qui n’est plus celle de nos ancêtres».

 

Pourtant, quand on voit pour la première fois les tableaux de paysage de Jean-Michel Linfort, on est frappé par sa vision contemporaine et quasi photographique. La sensualité de ses couleurs, la densité de ses pastels écrasés traduisent un monde profondément vivant, là et bien là, dans la relation que le peintre entretien avec lui, ici et maintenant.

 

La galerie Phi2 a choisi de présenter cette partie-là du travail de Jean-Michel Linfort. Avec lui nous avons sélectionné, parmi des centaines de tableaux, ceux qui nous semblaient le mieux traduire le choc esthétique et l’émotion que nous avions ressentis la première fois devant un paysage panoramique de Notre Dame de Sanhillac (d’avant Créavallée !)

 

Cette exposition veut montrer un paysage sans anecdote, sans pittoresque. Un paysage vu, immédiatement traduit sur la feuille sans la re-construction de ce que l’histoire de la peinture appelle habituellement le paysage. Des collines, des chemins qui zèbrent des vallons, des haies qui structurent la succession des champs, des ciels, ou pas de ciel quand la vue est plongeante. Parfois on voit quelque chose, mais on ne sait pas ce que c’est. Jean-Michel Linfort atteint l’abstraction presque sans la chercher.

 

Sophie Bourzeix – Juillet 2013

 

 

Fragments du paysage ordinaire -présentation de l’exposition

 

Texte de Jean-Michel Linfort – Juillet 2013

 

De Lascaux à Henri Miller au temps du colosse de Maroussi, le Périgord se hissa à l’universalité par ses paysages immémoriaux. Pour autant, la singularité de ce pays de rêve n’a rien perdu de son attrait à travers les siècles. C’est ce rapport entre universalité et singularité qui éclaire la démarche de Jean-Michel Linfort. Pour ce peintre terrien, chantre et « penseur du terroir » à contre-courant, historien de la peinture périgourdine*la terre et le paysage composent l’évangile littéral du « plus ancien testament de la nature ». Les mises en page du territoire périgourdin, pour cet artiste, s’éveillent à d’autres perceptions que celles, souvent exclusives, du pittoresque. Ainsi, le souvenir du temps, qui balaye les campagnes d’antan et l’éloignement de la perception de la question rurale en déroute dans notre société, fixent obsessionnellement les ressorts d’un travail condamné pour survivre dans ses précipités, aux ensoleillements de la poésie et de l’utopie. A ce prix, l’univers visible des campagnes périgourdines diffère selon les points de vue et peut trouver d’autres filets d’abondance. L’immersion dans des paysages aériens, par exemple, ouvre à un champ renouvelé de sensations en même temps qu’il suscite la quête d’un « ailleurs infini ». Peut-être est-ce là le signe d’un « enrichissement du regard » tel que le prôna l’écrivain américain Warren Burton (1800-1866) quand il publia en 1844 « le montreur de paysage », évoquant « la nature et un monde visible considérés d’un point de vue ni scientifique, ni industriel ou commercial, mais sous le rapport d’une jouissance visuelle ». C’est là un chemin intuitif, auquel Jean-Michel Linfort se rallie pour, selon son expression, « changer l’air d’une peinture portée par le décrochage de la civilisation paysanne».
Sans conclusion définitive sur les mutations du paysage rural et ses déraillements modernes, l’esprit de sa peinture évolue entre contemplation et méditation. Elle expurge alors l’artifice d’une théâtralisation du paysage, mais impose une vision paisible et rétinienne du motif, dont les tendances à l’abstraction bouleversent le positionnement habituel du regard.
Le paysage périgourdin apparu dans la mire presque épuisée du cliché habituel s’impose ici par une sève contemporaine inédite aux fortes sensations : la moindre portion de nature célèbre alors le paysage débusqué à ses franges et à ses contours. Par un paysage tactile, bois prés et champs se dressent pour retrouver la taille d’un spectacle transcendé par une acrobatie visuelle. Ainsi il en va du caractère pictural du paysage périgourdin, averti qu’il peut sourire à tout bout de champ dans la beauté scénique d’une vaste terre illuminée et sans âge.